03 décembre 2016

Abandonnés par l’EI dans le désert

Étant donné leur âge avancé, Laila* et Nadir* n’ont pas pu s’enfuir à temps lorsque l’État islamique (EI) s’est emparé de la ville de Qaraqosh. Tous les deux ont été enlevés avec ceux qui étaient restés bloqués dans cette ville chrétienne. Ils ont ensuite été déportés en plein désert.

Laila (troisième depuis la gauche) a vécu une déportation terrible. (csi)

Laila et Nadir habitent depuis de nombreuses années à Qaraqosh, une ville du nord de l’Irak. Ce couple vit avec leurs huit filles et leur fils, à la manière des grandes familles irakiennes traditionnelles. Mais le 7 août 2014, un grand coup les frappe : leurs enfants prennent leurs jambes à leur cou apprenant le retrait des peshmergas kurdes qui les protégeaient, forcés de reculer sous l’assaut des milices terroristes de l’EI.

Terrés durant deux semaines à Qaraqosh

Laila et Nadir restent seuls dans leur maison. Du fait de leur âge avancé et des problèmes cardiaques de Nadir, ils sont incapables de s’enfuir de la ville. Terrassés par la peur, ils n’osent pas sortir de chez eux. Laila nous relate : « Nous entendions régulièrement des bruits inquiétants provenant de sbires de l’EI qui pillaient des magasins abandonnés des alentours. »

Durant deux semaines, ce couple reste caché. Mais ce qui les trahit, c’est l’eau qui s’écoule de leur maison à cause d’une conduite défectueuse, ce qui indique aux combattants de l’EI que la maison est probablement encore habitée.

Les assaillants font irruption dans la maison et demandent au couple pourquoi ils n’ont pas quitté la ville. Laila se souvient de cette première confrontation avec les milices de l’EI : « Je leur ai dit que nous étions trop vieux pour partir. » Dans un premier temps, les combattants manifestent un peu de mansuétude à l’égard de ce couple. Ils lui fournissent même du riz et d’autres aliments.

Déportés au milieu de nulle part

Après trois jours, la situation change : le couple est informé qu’il sera amené à Mossoul afin qu’ils deviennent des citoyens de l’EI. Bien sûr, Laila et Nadir s’y opposent fermement : « Nous leur avons clairement déclaré que nous resterions chrétiens quoi qu’il en coûte. » Les combattants de l’EI se fâchent et les expédient à un point de contrôle de la ville situé à côté d’une mosquée. « Là-bas, ils nous ont fouillés et ils ont pris toutes nos valeurs. »

Ensuite, Laila et Nadir sont placés dans un bus avec 35 autres chrétiens qui n’avaient pas réussi à fuir Qaraqosh à temps. Ils sont tous conduits hors de la ville. Lors de ce voyage vers l’inconnu, l’angoisse est omniprésente : à un moment donné, le chauffeur du bus demande à un autre combattant de l’EI pourquoi on n’abattrait pas simplement tous les passagers. Laila, qui pensait n’avoir plus rien à perdre, s’écrie : « Eh bien, abattez-nous ! »

Parvenus en un lieu inconnu, les 35 déportés chrétiens doivent sortir du bus et poursuivre leur exil à pied. Laila relate la manière d’agir inhumaine de l’EI : « Nous avons marché pendant sept heures sous un soleil de plomb. »

Finalement, Laila et Nadir arrivent au bord d’un fleuve qui fait frontière avec le Kurdistan. Là, les gardes-frontières kurdes donnent de la nourriture aux plus faibles et assurent les premiers secours. Laila, Nadir et les autres chrétiens n’ont plus à craindre pour leur vie.

Leur fille est en souci

À Erbil, capitale du Kurdistan irakien, le chef de mission CSI John Eibner et Adrian Hartmann ont aussi rencontré une des filles de Laila et Nadir, Zeyneb*, ainsi que son fils Jamal* (voir encadré). Ces derniers ont pu quitter Qaraqosh avant l’arrivée de l’EI. Mais Zeyneb se sent trahie par ses voisins et ne fait désormais plus aucune confiance aux musulmans.

Nadir, qui souffre de douleurs cardiaques et qui est resté couché durant presque tout l’entretien, se redresse soudain : il se plaint d’avoir tout juste de quoi payer le loyer du petit appartement qu’ils occupent au Kurdistan. Bien sûr, ils sont tous les quatre reconnaissants de se trouver en lieu sûr, mais il rappelle que les conditions de vie sont difficiles pour les réfugiés chrétiens. Zeyneb raconte aussi qu’ils ont dû se rendre jusqu’à la capitale irakienne Bagdad pour obtenir de nouvelles cartes d’identité. Et qu’ils n’avaient pas le choix : sans carte d’identité, pas moyen d’obtenir des rations alimentaires à prix abordable. En collaboration avec Hammurabi, partenaire de CSI sur place, des chrétiens chassés tels Laila, Nadir et leurs enfants peuvent ainsi obtenir un soutien sous forme de colis alimentaires et autres produits de première nécessité.

Reto Baliarda

* Noms fictifs


Université de Mossoul : les chrétiens sous pression

Jamal*, le petit-fils de Laila et Nadir, étudiait à l’Université de Mossoul jusqu’à l’attaque de l’EI en juin 2014. Il nous relate diverses expériences vécues par les étudiants chrétiens avec leurs collègues d’étude musulmans : les uns étaient sympathiques, d’autres les évitaient, et d’autres encore essayaient de les convertir à l’islam. Le fonctionnement de l’université même était aussi soumis aux règles islamiques. Durant le ramadan, les chrétiens devaient aussi jeûner et n’avaient pas le droit d’écouter de la musique. Les examens avaient par contre souvent lieu lors de fêtes chrétiennes.

Les jeunes filles chrétiennes devaient toujours rester sur leurs gardes. Elles étaient parfois menacées par des collègues ou par le personnel de l’université. Quelques-unes ont été contraintes de porter le hidjab, foulard musulman.

Pour Jamal, l’interruption de ses études à Mossoul, forteresse de l’EI, a été un coup rude. Il nous dit combien l’université de Mossoul avait un bon niveau : « Mossoul était la meilleure université d’Irak ; ses diplômés étaient acceptés pour aller étudier à la Sorbonne de Paris. » Jamal a dû laisser beaucoup d’amis qui lui manquent aujourd’hui : « Ils avaient tous un esprit très ouvert et ils étaient cosmopolites. » Depuis l’arrivée de l’EI, il est devenu difficile de communiquer avec eux.

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