« Les intérêts géopolitiques passent avant la liberté de religion »

En juillet 2022, les représentants de trente pays se sont réunis à Londres pour la conférence ministérielle internationale sur la liberté de religion ou de conviction. Nous avons demandé au président de Christian Solidarity International, le Dr John Eibner, comment il avait vécu cette rencontre.

À Londres, ils ont défendu la liberté de religion : le révérend Hassan John, Caroline Cox (HART), Samuel Ortom (gouverneur de l’État fédéré de Benue au Nigéria), John Eibner (CSI), le révérend Gideon Para Mallam. csi

À Londres, ils ont défendu la liberté de religion : le révérend Hassan John, Caroline Cox (HART), Samuel Ortom (gouverneur de l’État fédéré de Benue au Nigéria), John Eibner (CSI), le révérend Gideon Para Mallam. csi

 

CSI : Lors d’une conférence ministérielle à Londres les 5 et 6 juillet 2022, la protection de la liberté de religion a été discutée. Monsieur Eibner, cela a dû vous encourager en tant que président international de CSI ?

John Eibner : Il faut connaître le contexte de la conférence. La conférence ministérielle de Londres faisait partie d’une série de conférences initiées par l’International Religious Freedom or Belief Alliance (IRFBA), sous la direction du gouvernement américain. La première pierre de cette « coalition des personnes de bonnes volontés », qui compte trente-six membres, a été posée par le gouvernement Trump, avec Mike Pompeo comme secrétaire d’État. L’Alliance a son siège au département d’État des États-Unis, où elle fait partie des nombreux instruments de la « boîte à outils » des responsables de la politique étrangère, avec lesquels ils poursuivent leurs intérêts nationaux. Londres a suivi l’exemple de Washington à cet égard. L’initiative pour la liberté de religion est utilisée comme un instrument pour renforcer la puissance globale du Royaume-Uni et de ses alliés, en particulier les États-Unis. Le document stratégique britannique Global Britain in a Competitive Age: The Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy en témoigne. Cela a été particulièrement visible dans le bref message de la ministre des Affaires étrangères Liz Truss, centré sur la condamnation de l’invasion russe en Ukraine.

Votre impression à l’égard de la conférence n’est pas très enthousiaste. Peut-on être contre une discussion sur la liberté de religion ?

Personne ne devrait être fondamentalement contre une discussion sur la liberté de religion. Mais le caractère et la qualité de la discussion sont décisifs. La discussion vise-t-elle à promouvoir la liberté de religion en tant que droit fondamental de l’homme ou est-elle utilisée de manière sélective comme instrument contre certains opposants, tout en ménageant les puissances intolérantes sur le plan religieux qui font office de partenaires et d’alliés ? Pour répondre à cette question, nous devons regarder les résultats de la discussion.

Fiona Bruce, députée britannique et envoyée spéciale pour la liberté de religion ou de conviction, a clairement déclaré avant la conférence ministérielle : « Cette conférence ne vaudra rien si elle ne débouche pas sur une action mondiale concertée visant à faire de la liberté de religion et de conviction une réalité dans le monde entier. »

Comment évaluez-vous maintenant le résultat ?

Les déclarations du Premier ministre et de la ministre des Affaires étrangères britanniques n’indiquent pas que l’objectif de leur envoyée spéciale a été atteint. Il faut mentionner que Fiona Bruce est l’une des députées les plus engagées à la Chambre des communes lorsqu’il s’agit de la liberté de religion. Mais sa fonction d’envoyée spéciale ne lui confère que peu de pouvoir. Là où la politique étrangère est déterminée, on ne l’entend guère.

Vous semblez désabusé.

Je dirais plutôt réaliste, pas désabusé. Les forums de discussion qui ne produisent pas de résultats tangibles ne servent pas la cause et finissent même par être contre-productifs. Celui de Londres était un spectacle qui a commencé par l’interprétation en ukrainien d’une chanson de la comédie de Noël Home Alone par le Citizens of the World Choir. Plus tard dans le programme, un participant a été cité comme disant : « On a l’impression que c’est un endroit protégé pour la narration du ministère des Affaires étrangères. Il n’y a pas de place pour une discussion solide sur ce qui se passe réellement. » C’est regrettable, car dans le public se trouvaient de nombreuses personnes du monde entier bien informées et engagées. Si la conférence avait été moins strictement chorégraphiée et avait permis des échanges plus libres entre les gouvernements, la société civile et les victimes, elle aurait apporté une contribution précieuse aux décideurs politiques pour la promotion de la liberté de religion. Mais la conférence ministérielle était parrainée et organisée par l’État. On ne pouvait que s’attendre à ce que les récits de l’État s’imposent, malgré les nobles efforts de Fiona Bruce, l’envoyée spéciale britannique pour la liberté de religion ou de conviction, malheureusement impuissante.

Malgré tout, trente États ont signé un document final. Dans ce document, ces gouvernements promettent notamment de collaborer plus étroitement avec les experts en droits de l’homme. Qu’y a-t-il de mal à cela ?

Il n’y a rien de mal à cela. Le document final est rédigé avec des intentions touchantes, typiques des platitudes que l’on trouve souvent dans les déclarations gouvernementales sur la liberté de religion. Mais il est loin d’être une déclaration politique cohérente. Ni le Premier ministre ni la ministre des Affaires étrangères britanniques n’en ont présenté une. Que signifie concrètement le fait de « collaborer plus étroitement avec des experts en droits de l’homme » ? En quoi une telle intention, si elle se concrétise un jour, améliorera-t-elle la situation critique des victimes de persécution religieuse ? Il n’y a pas eu de réponses à ces questions à Londres. La promesse générale de « coopérer plus étroitement avec les experts en droits de l’homme » n’est pas un résultat particulièrement impressionnant pour une conférence ministérielle de deux jours, étant donné que la persécution religieuse actuelle dans certaines régions du monde frise déjà le génocide.

CSI veut aider les personnes persécutées. Quelle peut être l’efficacité de l’aide si les circonstances politiques ne changent pas ? Ne serait-il pas plus efficace de collaborer avec les gouvernements ?

CSI ne dépend pas de fonds gouvernementaux. Notre mandat est d’agir en solidarité avec les personnes persécutées. Leurs intérêts déterminent la politique de CSI. Cela passe par un soutien spirituel et matériel aux victimes. Par le passé, CSI a toujours pris des risques pour accéder à des victimes qui étaient coupées du monde extérieur. Des personnes ont été sauvées et des prisonniers libérés sans que le gouvernement n’intervienne et sans que la situation politique n’ait fondamentalement changé. C’est encore le cas aujourd’hui sur de nombreux fronts de la lutte pour la liberté de religion.

Parallèlement, CSI s’efforce d’user de son influence pour provoquer un changement fondamental des conditions politiques qui conduisent à la persécution. CSI a déjà joué un rôle dans les changements politiques à plusieurs reprises.

Pouvez-vous nous donner des exemples ?

L’engagement en faveur de la liberté de religion avec les États membres de l’OSCE a contribué à l’effondrement du communisme militant et athée en Union soviétique et dans ses États satellites d’Europe de l’Est. Puis, dans les années 1990, les efforts de l’Azerbaïdjan et de la Turquie pour expulser les chrétiens arméniens de leurs maisons dans le Haut-Karabakh ont été contrecarrés et le djihad du gouvernement soudanais contre les chrétiens noirs non soumis a pris fin. CSI est prêt à collaborer avec les gouvernements si nous voyons qu’ils promeuvent la liberté de religion. Mais nous ne soutiendrons pas les politiques qui sapent la liberté de religion et nous ne resterons pas silencieux simplement parce que les gouvernements préfèrent se taire.

Avant la conférence, CSI a demandé à la ministre britannique des Affaires étrangères de rédiger une résolution pour dénoncer la situation terrible et l’inaction des États-Unis au Nigéria. Qu’en est-il advenu ?

Pour être précis, nous avons demandé à la ministre britannique des Affaires étrangères de proposer à la conférence ministérielle une résolution déclarant le Nigeria « État préoccupant » en matière de liberté de religion. Nous l’avons fait pour deux raisons : premièrement, en raison de la persécution religieuse répandue et bien documentée au Nigéria, notamment le « nettoyage religieux » des chrétiens du centre du pays, et secondement parce que le secrétaire d’État américain Antony Blinken a retiré le Nigéria de la liste de ces pays à la veille de sa visite de négociation à Abuja en novembre 2021. Il l’a fait comme une concession aux autorités nigérianes, car la première priorité de Washington est actuellement de consolider sa suprématie militaire et économique au Nigéria, l’influence économique de la Chine ne cessant de croître. La ministre britannique des Affaires étrangères a décidé à Londres de ne pas qualifier le Nigeria d’« État préoccupant ». C’est un bon exemple de la pratique courante qui consiste à faire passer les intérêts géopolitiques avant la liberté de religion.

Donc, à Londres, les ministres ont parlé pendant deux jours de la protection de la liberté de religion sans aborder les points chauds actuels de la persécution religieuse ?

Ce serait une erreur de penser que les ministres ont parlé de la liberté de religion pendant deux jours. Les quelques ministres qui y ont participé ont fait une brève apparition avant de disparaître. Certains de ces points chauds ont bien été soulignés dans le programme officiel, comme la persécution des Ouïghours musulmans en Chine, des Rohingyas musulmans, des chrétiens et de tous les autres croyants en Corée du Nord, et les différentes victimes de l’État islamique (EI) et de ses ramifications en Syrie, en Irak et en Afrique. Mais beaucoup d’autres n’ont guère été pris en compte.

On n’a pas dénoncé, par exemple, le fait que l’Arabie saoudite est l’une des pires dictatures répressives au monde en matière de liberté de religion. Washington et Londres ont une relation particulière avec l’Arabie saoudite, qui finance une forme d’islam intolérant dans le monde entier. Joe Biden a l’intention de se rendre prochainement en Arabie saoudite afin d’obtenir son soutien dans le conflit avec la Russie. La réunion ministérielle n’a pas non plus fait référence au fait que les djihadistes violents non étatiques sont soutenus par Washington et Londres pour être utilisés contre des ennemis et des adversaires. Nous avons quitté la réunion ministérielle sans être informés que des dizaines de milliers de chrétiens arméniens ont été chassés de leur foyer ancestral dans le Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan, un membre associé de l’OTAN, avec l’aide de la Turquie, membre de l’OTAN. La persécution violente croissante des chrétiens et des musulmans en Inde, dans le contexte de la domination hindoue encouragée par le gouvernement, n’a pas non plus été au centre de la discussion. L’épuration religieuse des chrétiens au Nigéria a certes été un « point chaud » dont il a été question lors de quelques manifestations annexes non officielles, CSI ayant également participé à l’une d’entre elles. Mais lors des consultations officielles, le Nigéria n’a pas été considéré comme particulièrement préoccupant.

La vidéo promotionnelle officielle et la déclaration finale reflètent bien l’esprit et le caractère de la conférence ministérielle. Je ne perçois pas qu’on a identifié des points chauds particuliers ou conçu des stratégies cohérentes. Mais c’est à chacun d’en juger.

Où voyez-vous actuellement les pires atteintes à la liberté de religion ?

En Corée du Nord, en Arabie saoudite, au nord du Nigéria, y compris dans la Ceinture centrale et dans d’autres régions d’Afrique subsaharienne contrôlées par les djihadistes, ainsi que dans les régions occupées par la Turquie dans le nord de la Syrie.

CSI continuera d’exhorter les gouvernements occidentaux à mieux s’engager en faveur de la liberté de religion. Il est important de placer les intérêts des victimes de persécution au centre de la politique occidentale tout en œuvrant pour que le comportement des puissances persécutrices change. Alors que la persécution religieuse augmente de manière dramatique dans le monde entier, et ce malgré les conférences ministérielles de l’International Religious Freedom or Belief Alliance (IRFBA), le travail de CSI est plus important que jamais.

Interview : Rolf Höneisen

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