Contre la traite d’êtres humains : compte-rendu de voyage

Depuis début 2013, CSI lutte contre la traite d’êtres humains dans l’État du Jharkhand. Une coordination nationale est nécessaire dans ce combat. Notre responsable de mission s’est entretenue avec d’anciennes victimes et a planifié la construction d’un refuge.

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Qu’est-ce que la traite d’êtres humains ? Comment fonctionne ce crime ? Qui sont les victimes ? Quelle est la situation en Inde ? Que peut-on faire pour combattre ce fléau ? Lors de mon dernier voyage, j’ai participé à une conférence de deux jours durant lesquels nous avons cherché des réponses à ces questions. La conférence était organisée par Mme Parul Singh *, notre partenaire en Inde, en collaboration avec d’autres groupes d’intérêts. Le but est de créer un réseau national pour combattre la traite d’êtres humains. Une centaine de personnes étaient présentes, dont des représentants d’organisations humanitaires déjà engagées dans la lutte contre la traite d’êtres humains et des représentants de diverses Églises. Comme les criminels sont très bien organisés, il faut un réseau national bien coordonné pour les combattre.

Les participants ont reçu des informations précises et ont été encouragés à lutter contre la traite d’êtres humains. La consternation était grande : plus on en apprend sur ce fléau, plus on se rend compte de son incroyable ampleur. Les nombreuses discussions ont permis d’échanger des idées et des stratégies. Beaucoup de projets ont pris racine dans le cœur des participants, mais ils devront encore les faire mûrir dans le calme. Tous ont été personnellement invités à réfléchir à ce qu’ils peuvent faire contre la traite d’humains. Fait réjouissant : à l’issue de la conférence, treize participants se sont engagés à construire un réseau pour lutter contre ce fléau dans leur État. Notre travail dans l’État du Jharkhand, lancé début 2013, servira d’exemple à cet égard.

Trois équipes, de nombreux bénévoles

Après la conférence, je me suis rendue dans l’État du Jharkhand avec notre partenaire Mme Parul Singh. D’une part, nous voulions discuter des prochaines étapes de notre travail avec nos collaborateurs et les encourager ; d’autre part, nous voulions aussi passer du temps avec les victimes récemment libérées, afin d’entendre leur histoire et de discuter de leur avenir. L’équipe se compose de groupes locaux dans trois villes. Dirigés par l‘avocat Prakash*, ces groupes s’engagent nuit et jour pour prévenir, libérer et réhabiliter. Par des séminaires et des formations, ils font progresser la collaboration avec la police, les autorités, les travailleurs sociaux, les membres d’Églises et les bénévoles. Le regard vigilant de ces bénévoles – commerçants, marchands, chauffeurs de bus, de taxi ou de rickshaw – est particulièrement précieux : plus d’une fois, ils ont aperçu une jeune victime emmenée par un trafiquant vers une grande ville. Ces bénévoles alertent immédiatement notre équipe, qui peut alors empêcher que ces jeunes êtres humains disparaissent dans l’anonymat.

Sauvée de justesse

Namrata** est une fillette de cinq ans. Je l’ai rencontrée chez l’un de nos collaborateurs. Sa posture en disait long : elle était tendue, une expression tourmentée sur le visage, le regard fixé sur le sol. Elle n’a pas dit un seul mot. Le père de Namrata a abandonné sa famille il y a quelques années et sa mère gagne sa vie en vendant des liqueurs bon marché. Seule Namrata connaît les horreurs qu’elle a subies, mais son comportement laisse supposer le pire.

Quand, un beau jour, la petite Namrata disparaît, personne n’y prend garde. D’ailleurs, pourquoi s’en faire ? Un enfant de moins, c’est le travail et les frais qui diminuent. Mais Namrata a été enlevée avec une de ses amies ! C’est par hasard que le transfert des fillettes vers une autre ville a pu être empêché : plusieurs membres de notre équipe qui se rendaient dans une école pour sensibiliser les élèves à la traite d’êtres humains se sont perdus en cours de route. Lorsqu’ils demandent leur chemin à une femme qui passe par là, tenant deux fillettes par la main, la femme prend la fuite en abandonnant les deux fillettes. Elle avait pris le 4×4 pour une voiture de police… La trafiquante a malheureusement pu s’enfuir, mais les deux fillettes sont sauvées. Après avoir ramené une fillette dans sa famille, notre équipe constate que des investigations plus poussées sont nécessaires en ce qui concerne Namrata. Sa famille elle-même risque de la vendre et Namrata doit être emmenée dans un internat géré par des nonnes. Elle y côtoie des enfants de son âge et s’y sent très bien. Elle vit en sécurité, elle est entourée d’amour et reçoit une bonne formation. Elle aura néanmoins besoin de beaucoup de temps pour surmonter ses expériences traumatisantes.

Dilip ne lâche pas prise

Suraj** est un garçon d’environ 14 ans. Il y a trois ans, un proche lui a proposé un emploi. Son père, très reconnaissant pour cette opportunité, laisse partir le garçon sans en trop réfléchir. Dilip**, un ami de Suraj, est toutefois méfiant. Plusieurs semaines s’écoulent sans nouvelles de Suraj. Dilip, prend alors contact avec la femme qui lui avait proposé cet emploi et lui demande où se trouve son ami. Durant trois ans, il continue de lui poser des questions sans jamais recevoir de réponse. Dilip ne lâche pas prise. Cela exaspère la femme et il court un grand risque, mais il finit par obtenir son numéro de téléphone et l’apporte à notre équipe. Un membre de l’équipe appelle la femme en se faisant passer pour un policier. Il lui dit qu’elle encourt une longue peine de prison si elle ne ramène pas immédiatement le garçon. Ce n’est pas tâche facile pour la trafiquante, car Suraj a déjà été transféré, mais le mot « police » suffit à lui faire tout mettre en œuvre pour retrouver Suraj et le ramener chez lui.

Suraj a survécu à trois années terribles. Forcé de travailler comme une bête, il a été maltraité et a subi des abus sexuels. Lors de notre rencontre avec Suraj et Dilip, nous avons été impressionnés par le comportement respectif des deux garçons : Dilip était éveillé, plein de vie et très bavard, tandis que Suraj, complètement crispé et le regard fixé sur le sol, n’a pas dit un mot. Les deux garçons craignent de retourner dans leur village. Comme ils connaissent le premier maillon de la chaîne de trafiquants, leur vie est en danger. Pour l’instant, ils vivent chez un membre de l’équipe, en attendant que nous trouvions une place pour eux, en endroit où Dilip pourra étudier et où Suraj apprendra à lire et recevra un suivi psychologique.

C’est l’acharnement de Dilip qui a sauvé son ami Suraj. Nous lui en sommes infiniment reconnaissants et Suraj n’oubliera jamais ce que son ami a fait pour lui.

Notre refuge

En fin de voyage, j’ai encore pu discuter avec Mme Parul Singh et Prakash de nos plans pour un refuge. Pour l’instant, nous devons loger les enfants libérés dans des foyers où ils ne reçoivent pas un suivi idéal. En raison du grand nombre d’enfants, le soutien psychologique est insuffisant. Les enfants courent en outre le risque que quelqu’un se fasse passer pour un parent et les enlèvent une nouvelle fois. Voilà pourquoi nous voulons construire notre propre refuge, spécifiquement adapté aux besoins des victimes de la traite d’êtres humains. Nous avons rendu visite à un pasteur qui nous aidera à trouver un terrain. Un grand merci à tous ceux qui soutiennent la construction de ce refuge !

La responsable de mission

Pour des raisons de sécurité :
* Seuls les prénoms de nos partenaires sont indiqués
** Les victimes ont des noms d’emprunt


Missions de CSI en Inde

En Inde, outre son engagement dans la lutte contre la traite d’êtres humains, CSI vient aussi au secours des victimes de la discrimination religieuse et de la persécution. L’accent est placé sur l’aide aux plus de 50 000 chrétiens qui, en 2008, ont été chassés de leur village par des extrémistes hindous et ont tout perdu. Ils n’ont toujours pas reçu le soutien nécessaire pour retrouver une vie digne. Depuis le lancement de ce programme en 2010, CSI a déjà aidé plusieurs centaines de famille à retrouver leur autonomie.

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