Pas de répit, même en cas de maladie

Peur, faim et désespoir, tels ont été les compagnons permanents d’Abuk Aher Diing durant les vingt-sept années de son calvaire d’esclave. Aujourd’hui, elle voit sa nouvelle situation comme un miracle : elle vit librement au Soudan du Sud.

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Tableau impressionnant que ces 200 esclaves libérés – dont quelque deux tiers de femmes. Ils se réjouissent de participer à la fête d’accueil organisée par le responsable CSI Franco Majok et son équipe : même si la plupart d’entre eux ont subi de graves sévices durant leur esclavage, nous ressentons une ambiance cordiale et joyeuse parmi les affranchis. Toutefois, il n’est pas aisé pour eux de raconter la vie effroyable qu’ils ont connue durant leur déportation et leur esclavage. Mais quelques-uns sont quand même disposés à témoigner, comme Abuk Aher Diing (45 ans), qui a été enlevée brutalement par les milices arabes et revendue comme esclave au Soudan (Nord).

Battue et enlevée

En 1990, Abuk est une jeune femme qui vit à Gaal. Elle est en train de discuter avec d’autres femmes… quand les Arabes rentrent dans le village et se jettent premièrement sur les combattants de l’armée de libération sud-soudanaise. Instantanément, les femmes réalisent le danger et se mettent à courir. Elle raconte à mi-voix : « Les Arabes m’ont rattrapée facilement avec leurs chevaux. Ils m’ont frappée sans pitié et emmenée. »

La jeune femme, qui vivait jusqu’alors sans soucis, se retrouve ligotée avec d’autres villageois. Personne ne peut s’échapper. La déportation en direction du Nord commence le lendemain. Un vrai cauchemar : les miliciens violent Abuk à plusieurs reprises et la rouent de coups à l’envi. Elle nous dit, en montrant des cicatrices sur sa jambe gauche : « Regardez un peu ce qu’ils m’ont fait ! » L’esclave libérée révèle avec tristesse les angoisses mortelles qu’elle éprouve durant tout son périple, en particulier lorsqu’elle doit assister à la mise à mort d’autres prisonniers qui sont trop épuisés pour suivre le rythme rapide de la troupe : « J’étais moi aussi au bord de l’épuisement, mais je me suis dit qu’il fallait à tout prix continuer de marcher. Je ne voulais pas mourir. »

Harcèlement sans fin

Cette déportation dure cinq jours. Une vraie marche de la mort pour plusieurs. Arrivée au Nord, Abuk est remise à un marchand d’esclaves soudanais et doit s’occuper de sa grande famille composée de cinq femmes et de douze enfants : préparer des repas quotidiens, transporter l’eau, ramasser du bois en forêt, faire les nettoyages, soigner l’âne. Elle ne reçoit jamais de repas correct, mais seulement les maigres restes de nourriture… quand il y en a : « J’avais souvent très faim et je devais dormir dans la cuisine le ventre vide. » Même quand cette courageuse femme est malade, son maître ne lui laisse aucun répit.

Son maître contraint également Abuk de se convertir à l’islam, une chose qu’elle abhorre. Elle doit réciter les prières musulmanes avec la famille. « C’était particulièrement terrible pendant la période de jeûne du ramadan : le repas devait être prêt à la minute près après le coucher du soleil, faute de quoi j’étais battue. » Cette femme de la tribu des Dinka est bien sûr régulièrement insultée. Elle perd tout espoir de changement et son esclavage devient une lutte continuelle pour résister à tous ces sévices : « Dans mon désespoir, j’ai commencé à me faire à l’idée que je ne pourrais plus jamais mener une vie libre. Je vivais dans une peur continuelle. »

Une nouvelle vie

Un beau jour, un étranger arrive chez son maître. Abuk entrevoit qu’il s’entretient avec lui et qu’il lui remet quelque chose. Ensuite, les deux hommes viennent vers l’esclave en lui disant qu’elle peut partir avec l’étranger. Abuk ne comprend pas très bien, au début, ce qui se passe à ce moment-là. Quand elle est amenée vers un groupe d’autres Dinka et que l’étranger leur dit qu’ils pourront tous retourner au « Dinkaland » (le Soudan du Sud), son bonheur est sans pareil. Elle nous dit, avec un petit sourire : « Je débordais de joie ». Et d’ajouter que tous les Dinka ont été très bien traités sur le chemin du retour.

Leur libérateur leur donne assez à manger et achète un habit neuf à chacun, pour qu’ils ne soient pas forcés de marcher en haillons. Depuis juin 2017, Abuk vit donc comme une personne libre dans sa patrie. Après toutes ces années qu’elle a dû passer comme esclave loin de chez elle, elle espère beaucoup retrouver des parents. Mais elle nous dit qu’il sera difficile de les reconnaître. Et elle nous déclare, avec un soupçon d’étonnement : « Je suis si heureuse de vous rencontrer. C’est la première fois que je vois des hommes blancs ! »

Reto Baliarda

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