
Lorsque les terroristes de Boko Haram attaquent leur village, la famille Yakubu parvient à se sauver de justesse. Durant onze mois, elle vit dans l’angoisse, en se cachant dans les grottes de la montagne. Ce n’est que lorsqu’elle arrive au camp de réfugiés de Jos qu’elle peut enfin respirer.
Plus de 200 réfugiés vivent dans le camp de Jos géré par la fondation Stefanos et cofinancé par CSI. Dans le bureau du camp, les représentants de CSI Franco Majok et Reto Baliarda rencontrent la nombreuse famille de Bazhigla et Saratu Yakubu. Le plus jeune de leurs sept enfants est encore un nourrisson. Leur fille aînée, Ruth (17 ans), est déjà maman ! Toute la famille est hébergée depuis mai 2016 dans ce camp où les parents et leurs sept enfants ont trouvé la sécurité. Malgré l’aide dispensée, Bazhigla effectue aussi de menus travaux dans les environs afin de gagner un peu d’argent. Son mari Saratu, qui a 30 ans de plus qu’elle, souffre de tuberculose et ne peut pas accomplir de travaux physiques. Saratu est assis tranquillement à côté de son épouse qui nous relate les événements des dernières années avec clarté et précision.
La famille de Bazhigla est originaire de la petite ville de Baga, située au bord du lac Tchad (État fédéral de Borno). Quand la rumeur de l’approche de Boko Haram s’amplifie, la famille finit par fuir pour se rendre à Ngoshe, située à environ 300 kilomètres au sud. « Mais nous avons vite remarqué que la situation n’y était pas plus sûre », soupire la mère ; en effet, en novembre 2013, les djihadistes lancent une première attaque sur Ngoshe. La population s’en tire avec une grande frayeur et une église détruite. Boko Haram se retire ensuite pour un temps.
Six mois plus tard, Ngoshe est de nouveau attaquée par les terroristes. Cet assaut a des conséquences bien plus désastreuses. Bazhigla relate : « Les cris et les tirs nous résonnaient dans les oreilles. Nous avons réussi à nous sauver puis, par chance, à nous réfugier dans les montagnes. »
La famille connaît les montagnes, mais le risque d’être repérés par les djihadistes est permanent ; Saratu observe chaque jour durant des heures ce qui se passe dans les environs, afin de voir si les combattants de Boko Haram s’approchent ; son épouse Bazhigla explique : « Il ne se passait pas un seul jour sans que nous voyions au loin des combattants de Boko Haram arpenter les montagnes et les collines, à la recherche de fuyards. »
Normalement, les combattants de Boko Haram n’agissent que durant la journée, mais des attaques nocturnes ne sont jamais exclues. Bien sûr, la famille de Bazhigla doit toujours veiller à tout emporter ou cacher lorsqu’elle quitte une grotte. Faute de quoi un objet pourrait trahir leur présence. Ainsi, en passant d’une grotte à l’autre, le cortège familial doit veiller à ne rien laisser derrière lui.
La famille Yakubu ignore le temps qu’elle devra survivre dans les montagnes. Pour éviter que les siens ne meurent de faim, Saratu se lève chaque matin très tôt pour aller chercher quelque chose à manger. La famille peut profiter d’un filet d’eau qui coule non loin des grottes et boit l’eau qui reste après la cuisson du repas.
Durant onze mois, la famille vit dans la peur continuelle d’être débusquée par Boko Haram : « Il n’y a aucune nuit où j’aie pu dormir en paix ! » relate-t-elle. Cette souffrance semble ne pas vouloir cesser. Un jour d’avril 2015 pourtant, des tirs nourris retentissent et Bazhigla pense que l’armée fédérale a dû atteindre Gwoza, une ville proche. Prenant courage, la famille se risque à rejoindre le camp de réfugiés de Gwoza. Mais Saratu reste quelque temps dans les montagnes. Bazhigla explique : « Nous ne savions pas si la route pour Gwoza était sûre et d’ordinaire, les hommes sont immédiatement mis à mort par Boko Haram. »
En effet, Gwoza est reconquise en mars 2015 par l’armée nigériane. Toutefois, il y a encore des combats quotidiens entre l’armée et les extrémistes. Pour aller trouver son mari, Bazhigla se rend plusieurs fois à ses risques et périls jusqu’aux montagnes. Le danger est permanent : « Chaque fois que j’étais en route, j’entendais des coups de feu ! », dit-elle.
Après deux mois, Saratu peut rejoindre le camp de réfugiés, où la famille reste jusqu’en mars 2016 ; mais même là-bas, elle n’est jamais tranquille. Bazhigla relate : « Nous étions les seuls chrétiens sur place et les musulmans ne nous ménageaient pas ; de plus, nous ne mangions jamais à notre faim. »
Un jour, l’armée recommande à la famille de quitter le camp et la transfère jusqu’à Madagali ; là, elle lui remet un viatique pour lui permettre de rejoindre Jos, en passant par Mubi et Yola.
Malgré la protection de l’armée, la famille Yakubu en garde un souvenir mitigé. En effet, Ruth, leur fille aînée est déjà mère à la suite d’un viol commis par un soldat qui a profité du besoin de protection inhérent à sa situation.
Mais Bazhigla est reconnaissante : sa famille a pu rejoindre un camp de réfugiés chrétien à Jos : « La vie ici est meilleure que tout ce que nous avons vécu depuis notre fuite de Ngoshe. Nous pouvons enfin dormir tranquilles et manger à notre faim. » Tout ce petit monde déplacé aimerait demeurer un certain temps dans le camp de Jos. Et la direction de la fondation Stefanos souhaite, de son côté, pouvoir répondre à son désir : « Celui qui veut rester ici peut le faire », nous assure Peter Darong-Hwere, un responsable du camp.
Reto Baliarda