
Recension de Roland Baertschi, lecteur CSI
Un parcours extraordinaire que celui de Mgr Casmoussa, archevêque de Mossoul, étroitement lié aux événements qui ont bouleversé l’Irak ces dernières décennies. Il raconte, sous forme d’entretiens avec deux journalistes, sa vie d’homme engagé qui a toujours été jusqu’au bout…
Une incroyable aventure que la sienne : prêtre de la communauté syriaque-catholique, fondateur d’une fraternité de vie – les prêtres du Christ-Roi –, auxiliaire patriarcal, penseur, écrivain, journaliste, directeur d’un journal… parfait polyglotte, il voyage sur tous les continents, a traversé coups d’État et guerres, vécu une occupation et frôlé la mort lors d’un enlèvement.
Son souci est de sauvegarder la foi des chrétiens en Irak et de maintenir en même temps le dialogue avec les musulmans. L’arrivée des Américains dans le pays a généré un courant islamiste qui est allé en s’intensifiant, note-t-il. Cependant, si ce courant se réclamait ou se réclame encore de l’islam, je suis convaincu, affirme Mgr Casmoussa, que l’islam n’est souvent qu’un alibi pour ces groupes avant tout opportunistes et maffieux. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un chrétien ne soit menacé, enlevé ou assassiné et sans qu’une église ne soit attaquée, saccagée ou incendiée.
Qu’en est-il de la possibilité de constituer une région autonome chrétienne au nord du pays dans la plaine de Ninive, à l’est de Mossoul ? Réponse : le projet est au point mort. Il n’a jamais été sérieusement discuté ni par les députés, ni par la hiérarchie chrétienne. Il est pourtant capital que nos responsables religieux et civils chrétiens se mettent ensemble autour d’une table. Le dernier mot doit appartenir aux chrétiens irakiens vivant en Irak et non pas à ceux qui se sont déjà installés en Occident.
Croyez-vous à l’émergence d’un islam modéré acceptant de partager des responsabilités d’État avec des non-musulmans, des chrétiens par exemple ? L’expérience libanaise le prouve, nous dit Mgr Casmoussa qui a été nommé auxiliaire patriarcal à Beyrouth en avril 2011 ; elle démontre non seulement la capacité des chrétiens à composer avec leurs compatriotes musulmans, mais prouve aussi que les musulmans sont prêts à mettre en pratique avec nous de vrais actes de convivialité.
Sa formation ? Il la doit au séminaire dominicain de Saint-Jean de Mossoul qu’il fréquente durant onze ans. Des années capitales, précise-t-il, où il s’est affirmé intellectuellement et a développé son sens critique. Sur le plan de la foi, deux grands maîtres ont guidé sa vie religieuse : sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et le Père Charles de Foucault. De la première, il retient la manière de sanctifier les banalités de la vie et du second, il relève l’attachement amoureux au Christ, cherchant à être toujours plus proche de sa personne.
Concernant les rapports entre les Églises orientales et Rome, il note que la situation s’est bien améliorée depuis Vatican II (1962-1965) ; aujourd’hui des échanges prometteurs ont lieu.
Évoquant la question du célibat des prêtres, Mgr Casmoussa rappelle que dans l’Eglise syriaque à laquelle il appartient, le prêtre peut se marier, avec cette restriction : il ne peut pas devenir évêque. Si lui-même a choisi le sacerdoce sans mariage, c’est qu’il a voulu entièrement consacrer sa vie au Christ. Un choix qu’il a eu à renouveler, épurer, transfigurer.
Jeune prêtre, à la sortie de son ordination, il fonde avec trois camarades, une fraternité de vie : « La communauté des prêtres du Christ-Roi » : une première en quelque sorte, rompant avec le modèle traditionnel où les prêtres vivent chez leurs parents. La nouvelle équipe se compose de prêtres de rite syriaque et chaldéen (un œcuménisme tout nouveau en Irak !).
Le journalisme fut la seconde vocation de Mgr Casmoussa. Il fonde en 1964 une revue La pensée chrétienne où il va développer toutes ses qualités de journaliste. En 1971, le magazine devient mensuel (32 pages). Il est repris en 1995 par les pères dominicains, alors qu’il compte 7000 abonnés. Quelques accrocs avec les autorités politiques, et aussi avec l’un ou l’autre membre de la hiérarchie, n’entraînent pas de suite fâcheuse.
Né en 1938, six années après l’indépendance de son pays (1932), Mgr Casmoussa a 20 ans lorsque la monarchie s’écroule. À l’époque, il est au grand séminaire Saint-Jean, à Mossoul. Contrairement à la plupart de ses proches, il n’est pas défavorable à un régime républicain. Le communisme gagnait alors en popularité, rappelle-t-il. Un nombre important de jeunes chrétiens étaient séduits par sa philosophie qui se présentait comme une émancipation pour les minorités et les travailleurs frustrés. Ce qui le rebutera, lui-même, dans ce choix de société, c’est la négation de l’individu au profit de la collectivité. Les rapports avec les communistes demeuraient houleux, mais restaient pacifiques. Nous n’éprouvions pas cette peur que nous ressentons aujourd’hui face aux extrémistes islamistes. En 1958, ce ne sont pourtant pas les communistes qui prennent le pouvoir en Irak, mais l’armée et les nationalistes. Il voit arriver Saddam Hussein, assiste à l’avènement du Baath, le parti unique. Témoin de l’histoire de l’Irak, il traverse péniblement la guerre avec l’Iran (1981-1988), connaît les deux guerres du Golfe (1991 et 2003), l’embargo qui punit son pays, la montée du terrorisme et son propre enlèvement avec menace de mort.
Souvent vous soutenez qu’en Irak, les chrétiens et les musulmans doivent se rapprocher les uns des autres, même si l’histoire paraît montrer le contraire. Mais n’en a-t-il pas été de même en Europe au temps de la Réforme, note Mgr Casmoussa, avec les conflits entre catholiques et protestants ? Vous n’en concluez pourtant pas à l’impossibilité d’un « vivre en commun » chez vous. Je crois à un dialogue de vie, à un « faire ensemble » plus qu’à un dialogue théologique. L’islam n’est pas pervers, mais il faut que ses docteurs et ses leaders l’abordent comme une voie de salut pour l’humanité et non pas comme une pure religion légaliste. Que nos dirigeants agissent comme des bâtisseurs, qu’ils cessent de régler la vie des gens en termes de halal et haram (permis et interdit), en comprenant que les hommes ne sont pas faits pour la loi, mais que la loi est faite pour eux, pour les protéger, et notamment les plus faibles d’entre eux.
Quelle conclusion pouvons-nous, chrétiens de l’Occident tirer d’une telle expérience ? Il me semble qu’on peut y lire une invitation pressante à prier pour nos frères dans les difficultés, puis un appel à la réconciliation dans nos propres milieux, enfin une nécessité de changer notre regard sur ceux qui nous paraissent étrangers.
CHF 36.00
189 pages
Nouvelle Cité | 2012
ISBN 978-2853136730
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