L’avis des présidents de parti sur le génocide d’hier et d’aujourd’hui

Le Conseil fédéral doit reconnaître le génocide de 1915 et jouer les intermédiaires à l’échelle internationale au Moyen-Orient. La majorité des présidents de parti sont d’accord sur ces points.

Website-Foto_-_alle_Parteipräsidien_2_Teaser_01

Deux questions aux neuf présidents de parti

  1. À ce jour, par égard pour la Turquie, le Conseil fédéral n’a pas reconnu officiellement le génocide de 1915. Devrait-il le faire ? Pourquoi ou pourquoi pas ? 
  2. Aujourd’hui, en Irak et en Syrie, un génocide menace à nouveau les descendants des survivants du génocide de 1915. De nombreuses minorités religieuses non chrétiennes comme les yézidis et les chiites sont aussi concernées. Que doit faire la Suisse et pour quoi vous engagez-vous ?

 Toni Brunner (UDC)

  1. Génocide 1915 
    Ce qui est important, c’est que l’on discute aujourd’hui ouvertement, à large échelle et sur des bases scientifiques de ce triste chapitre de l’histoire. La neutralité de la Suisse impose par ailleurs à juste titre une grande circonspection de la part du Conseil fédéral en ce qui concerne l’évaluation politique actuelle des faits. Ce qui compte, c’est aujourd’hui et maintenant. Dans notre domaine de responsabilité et d’influence, nous devons empêcher que des souffrances humaines et des atrocités se produisent. À cet égard, il appartient à la Suisse de jouer un rôle important en offrant ses bons offices de médiatrice neutre. Pour cela, il est nécessaire d’avoir une politique de neutralité crédible et de faire preuve de la circonspection qui convient en ce qui concerne des jugements de valeur.
  2. Génocide 2015   
    À cause de sa neutralité et de sa tradition humanitaire, la Suisse doit faire preuve de retenue politique et médiatique dans de tels conflits, cela afin de pouvoir s’engager sur le plan humanitaire et plus tard en tant que médiatrice sur tous les fronts du conflit. Des acteurs neutres sont nécessaires pour accéder à toutes les régions en conflit et pouvoir y apporter de l’aide. C’est en particulier en se rappelant sa totale neutralité et en offrant ses bons offices que la Suisse peut contribuer à prévenir des génocides.

Christian Levrat (PS)

  1. Génocide 1915 
    Le PS s’engage depuis des années pour que le Conseil fédéral reconnaisse publiquement le génocide de 1915. Le PS avait soutenu en bloc la déclaration du Conseil national qui, le 16 décembre 2003, a reconnu par 107 voix contre 67 le génocide de 1915 contre le peuple arménien. L’actuel conseiller fédéral et ancien conseiller national PLR Johann Schneider-Ammann avait été le plus véhément pour s’opposer à la reconnaissance « dudit génocide arménien qui remonte au début du XXe siècle et à sa condamnation politique ». Vingt-six conseillers nationaux PLR et quarante et un UDC avaient suivi J. Schneider-Ammann et refusé de reconnaître le génocide arménien. Malheureusement, aujourd’hui encore, ces partis placent les intérêts économiques au-dessus des droits de l’homme. Le 10 octobre 2014, le conseiller fédéral PLR Didier Burkhalter a annoncé un « partenariat stratégique » avec la Turquie. Il ne veut toujours rien savoir de la position du gouvernement turc concernant son passé. Cela serait pourtant une condition préalable importante pour que la Turquie reconnaisse enfin sa diversité culturelle et confessionnelle dans sa constitution.
  2. Génocide 2015   
    Les crises en Syrie et en Irak se sont en effet amplifiées jusqu’à devenir l’une des plus grandes catastrophes humanitaires depuis des décennies. Nous sommes témoins de l’effondrement d’un système étatique esquissé après les catastrophes du XXe siècle par les puissances coloniales d’alors sans égard pour les peuples concernés. La Suisse peut et doit contribuer à la construction d’un nouvel ordre constitué d’États ethniquement et religieusement neutres, qui respectent les droits de l’homme et les droits de toutes les minorités, quelles qu’elles soient et qui s’opposent catégoriquement à toute forme de discrimination et d’intolérance basées sur la religion ou sur la vision du monde. La Suisse doit s’engager pour l’établissement d’une juridiction internationale, afin que tous les crimes contre des minorités religieuses et ethniques puissent être poursuivis pénalement. La Suisse doit en outre soutenir de manière ciblée les différentes collectivités civiles, les partis et les groupes qui, dans la région, luttent contre l’intolérance et la haine ou qui s’engagent en faveur de l’établissement de gouvernements laïques et de sociétés multiethniques et multiconfessionnelles. Il faut fondamentalement remettre en question la manière de pratiquer de la Suisse, qui fait des affaires se chiffrant en milliards au Proche et au Moyen-Orient tout en rejetant toute coresponsabilité pour les crimes qu’elle cofinance de cette façon. La Suisse doit renforcer son aide aux réfugiés sur place et accueillir des contingents beaucoup plus généreux que jusqu’à présent.

Philipp Müller (PLR)

  1. Génocide 1915 
    Le PLR partage l’avis du Conseil fédéral et estime que l’évaluation de ces événements est du ressort des historiens. Le PLR espère que les deux États parviendront bientôt à considérer leur passé de manière coordonnée.
  2. Génocide 2015   
    Pas de réponse.

Christophe Darbellay (PDC)

  1. Génocide 1915 
    Le Parlement suisse a déjà reconnu le génocide, le Conseil fédéral ne l’a pas fait pour les raisons que l’on connaît. Plus il attend, et plus cette position l’isole sur le plan européen. Nos voisins – l’Autriche, l’Allemagne, la France et l’Italie – ainsi que l’Union européenne ont reconnu le génocide. Le Pape aussi a articulé le terme « génocide ». En Suisse, la négation du génocide est toutefois punissable. C’est une bonne chose.
    Lors de notre assemblée des délégués d’avril dernier, j’ai moi-même parlé du génocide. Ce fait historique est aujourd’hui largement accepté, de sorte qu’en parler ne produit plus un tollé. Lors de la commémoration des 100 ans du génocide arménien, de nombreux gouvernements et parlements ont saisi l’occasion pour reconnaître le génocide. Le Conseil fédéral aurait très bien pu se joindre à eux sans que cela fasse trop de vagues. Or, s’il le fait à un autre moment, sans lien avec l’actualité, cela attirera davantage l’attention, et c’est justement ce que le Conseil fédéral ne veut pas. […] Il n’est pas digne de la Suisse, État dépositaire des Conventions de Genève et patrie d’Henri Dunant où l’ONU a ses quartiers, de faire l’autruche pour préserver des relations économiques.
  2. Génocide 2015 
    C’est en tout cas très tragique et cela m’attriste. Comment peut-on persécuter, violer et tuer des êtres humains pour la seule raison qu’ils ont une autre religion ? Et comment peut-on sérieusement déclarer faire ainsi la volonté de son Dieu ? Malheureusement, nous les Européens, nous avons aussi un passé sombre à cet égard. […] J’espère de tout cœur que les développements au Proche et Moyen-Orient ne tarderont pas autant. Par ses bons offices et en œuvrant au sein de la communauté internationale, la Suisse peut contribuer à la paix. C’est véritablement la seule chose dont la région a besoin : la paix et la réconciliation. Il est certes important d’accueillir les réfugiés, mais ce faisant, on lutte uniquement contre les symptômes. Le but doit être que ces personnes puissent retourner dans leur pays. […]
    La persécution des chrétiens est par ailleurs un sujet important au sein du PDC. Plusieurs membres de la fraction PDC-PEV ont déjà déposé des interventions parlementaires à ce sujet. Une chose est claire : la dignité de tout être humain est une préoccupation centrale du PDC.

Regula Rytz (Les Verts, coprésidente)

  1. Génocide 1915 
    Oui, le Conseil fédéral doit reconnaître publiquement le génocide, comme le Conseil national l’a fait en décembre 2003 déjà. Jusqu’ici, le Conseil fédéral a toujours souligné qu’il ne souhaitait pas prendre position afin de pouvoir jouer les intermédiaires entre l’Arménie et la Turquie. Les protocoles de Zurich ayant échoué en 2009, cette excuse n’est plus valable. De plus, on ne peut tolérer aucun compromis quand il s’agit de condamner un génocide historiquement prouvé. On ne peut pas esquiver cette responsabilité. Les Verts soutiennent d’ailleurs depuis toujours la cause arménienne. Le Conseiller national genevois Ueli Leuenberger est l’un des initiateurs et le coprésident du groupe parlementaire Suisse-Arménie. Quatre conseillers nationaux verts (Ueli Leuenberger, Francine John Calame, Anne Mahrer et Christian Van Singer) ont participé fin avril au Forum sur le génocide et à la commémoration à Erevan. Pour ma part, lors de la cérémonie commémorative de 2005 à la cathédrale de Berne, j’avais adressé les salutations du gouvernement de la ville de Berne. Il est grand temps que le Conseil fédéral adopte lui aussi une position claire.
  2. Génocide 2015   
    Les Verts attendent du Conseil fédéral qu’il s’engage activement, sur le plan international, pour l’interruption et la fin des actes de guerre. À court terme, il faut créer des zones internationales protégées et augmenter l’aide sur place. Tant que la guerre et les crimes de guerre continuent, la Suisse doit renforcer son aide humanitaire dans les pays limitrophes et accueillir un grand contingent de réfugiés provenant de ces régions. 

Martin Bäumle (Les Vert’libéraux)

  1. Génocide 1915 
    Les Vert’libéraux condamnent les tragiques déportations massives ainsi que les massacres et reconnaissent que le génocide arménien de 1915 est une réalité ; ils salueraient une reconnaissance officielle comme l’a demandé le Conseil national dans une intervention. Le Conseil fédéral est à ce jour d’un autre avis, car il considère qu’une solution consensuelle et un travail de mémoire conjoint entre les deux pays donneraient de meilleurs résultats. Reconnaître le génocide pourrait compromettre les efforts de la Suisse en tant que médiatrice, c’est pourquoi les Vert’libéraux comprennent aussi la position du Conseil fédéral.
  2. Génocide 2015   
    La protection des minorités est une préoccupation centrale de la Suisse. Dans le conflit actuel, cela passe aussi par l’aide humanitaire. Autant que possible, la Suisse doit offrir ses bons offices pour protéger ces minorités. Voilà ce pour quoi les Vert’libéraux s’engagent. Les Vert’libéraux sont aussi ouverts à l’idée d’accueillir des contingents de réfugiés composés de personnes particulièrement vulnérables, ce qui inclut aussi des membres de minorités religieuses dont l’intégrité physique et la vie sont menacées. 

Martin Landolt (PBD)

  1. Génocide 1915 
    J’estime que le Conseil fédéral, et donc la Suisse « officielle », devrait reconnaître le génocide. Il ne s’agit pas de désigner un coupable ou des responsables, mais il est simplement question d’une réalité historique. Chaque pays devrait assumer son passé sans avoir à se justifier pour cela.
  2. Génocide 2015
    La Suisse doit s’engager – de façon coordonnée avec la communauté internationale – dans le cadre de la coopération au développement. En plus de cet engagement, un paquet de mesures qui feraient également l’objet d’une concertation à l’échelle internationale serait sans doute nécessaire.

Marianne Streiff-Feller (PEV)

  1. Génocide 1915 
    La Suisse diplomatique s’engage certes depuis des années pour un accord entre Ankara et Erevan. Toutefois, je regrette vivement que même 100 ans plus tard, le Conseil fédéral n’ait toujours pas le courage de reconnaître le génocide arménien en utilisant le terme qui convient. Les expériences faites dans d’autres régions montrent que s’il n’est pas agréable de faire pression sur la Turquie, cela peut en fin de compte l’amener à capituler. J’estime qu’il est faux de ne pas reconnaître le génocide parce que l’on craint une régression des relations économiques. Il y a 100 ans, il y avait 25 % de chrétiens en Turquie, aujourd’hui ils ne sont plus que 0,2 %. Ces chiffres me donnent à réfléchir. Avec un groupe de parlementaires, je me suis rendue personnellement au Global Forum afin de participer aux festivités commémorant le génocide arménien.
  2. Génocide 2015   
    C’est exactement les explications que je voulais obtenir du Conseil fédéral et qui m’ont poussé à déposer une interpellation au Conseil national […] Pour insister, j’ai déposé une motion demandant au Conseil fédéral qu’il aborde systématiquement « la question de la liberté religieuse et de la protection des minorités religieuses » lors de discussions bilatérales. Je continuerai à m’engager pour que ce sujet reçoive l’attention qui convient.

Hans Moser (UDF)

  1. Génocide 1915 
    Le Conseil fédéral devrait reconnaître publiquement le génocide arménien. Il n’est pas acceptable de nier des faits historiques uniquement pour être politiquement correct. Il faut appeler l’injustice par son nom pour que le travail de mémoire puisse avoir lieu. L’Allemagne a prouvé au monde qu’il est possible d’assumer de manière constructive les injustices et les atrocités commises par les générations précédentes. Le fait de présenter des excuses officielles et de reconnaître sa culpabilité est salutaire pour les deux parties et constitue déjà une étape importante en vue de la réconciliation. La Suisse ne devrait pas soutenir le négationnisme turc par un mutisme empreint de fausse tolérance.
  2. Génocide 2015   
    La Suisse doit s’engager pour que la communauté internationale reconnaisse et protège davantage les minorités menacées. Il faut permettre à ces minorités de vivre dans leurs régions d’origine selon un fédéralisme autogéré et en se défendant elles-mêmes. En ce qui concerne l’aide financière internationale, il faut s’assurer que l’argent atteint aussi les minorités les plus durement éprouvées et qu’il ne reste pas aux mains d’un gouvernement central. La Suisse doit en outre soutenir les régions et les pays voisins qui assument l’arrivée massive de réfugiés. Il faut aussi que le Conseil fédéral fasse pression sur la Turquie, qui a jusqu’ici toléré les activités de l’EI et entravé celles des milices kurdes.

Les partis figurent en fonction de leur importance dans le parlement. Le sondage a été fait en mai 2015.  Notre bulletin mensuel l’a publié pour la première fois à la fin du mois de juin ; on le trouve également sur notre site web depuis le début août 2015.

Commentaires

Nous serions heureux que vous nous fassiez part de vos commentaires et de vos ajouts. Tout commentaire hors sujet, abusif ou irrespectueux sera supprimé.


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.

Votre commentaire a été envoyé.

Le commentaire a été envoyé. Après avoir été vérifié par l'administrateur, il sera publié ici.