
Traditionnellement, la Turquie a de grands problèmes pour gérer ses minorités religieuses et ethniques. L’espoir de voir une amélioration prochaine s’atténue depuis que l’Europe devient dépendante de la Turquie en tant que partenaire dans la crise des réfugiés.
La Constitution turque désigne le pays comme État de droit laïc. En général, la laïcité est la stricte séparation entre l’État et la religion. Mais la laïcité turque prévoit un contrôle étatique strict des religions pour garantir qu’elles soient politiquement neutres.
La liberté de religion garantie par la Constitution est elle aussi interprétée de façon très particulière. Ainsi, les minorités chrétiennes du pays sont confrontées à maintes dérogations à la liberté de religion. L’État interdit par exemple la formation de pasteurs et de professeurs en religion chrétienne. Par ailleurs, la construction d’églises est entravée et des églises ou chapelles sont régulièrement confisquées et démolies.
Les difficultés ne se limitent cependant pas au statut légal des communautés chrétiennes, mais se poursuivent dans la vie privée. Les chrétiens se voient discriminés lors de leur recherche d’emploi ou de leur accès à des emplois étatiques. Ce n’est que rarement qu’ils réussissent à atteindre des échelons élevés, que ce soit dans le domaine politique, administratif ou militaire.
Selon le théologien catholique Timo Güzelmansur, directeur de l’Office de rencontre et de documentation chrétien-islamique de la Conférence épiscopale allemande, la Turquie connaît une liberté de culte incontestable. Elle permet aux chrétiens de vivre leur foi en privé et à l’intérieur des lieux de cultes. Par contre, « toute autre chose qui serait liée avec une véritable liberté de religion leur est refusée ».
Actuellement, la situation s’aggrave par la montée d’un nouveau nationalisme. Selon M. Güzelmansur, « beaucoup de choses qui ne sont pas islamiques ou n’appartiennent pas explicitement à la ‹ turquicité › sont déclarées ennemies ». Ainsi, on crée une atmosphère d’hostilité à l’égard des chrétiens. La cohabitation est de plus en plus difficile. En décembre 2015, par exemple, des musulmans radicaux ont battu les rues d’Istanbul et d’autres villes. Ils portaient des affiches et des bannières avec des slogans hostiles à la fête de Noël. Une des bannières montrait un père Noël monstrueux surmonté d’une croix.
En outre, durant les derniers mois, des églises et des pasteurs ont été à nouveau attaqués : le 10 septembre 2015, le pasteur de l’Église évangélique Batıkent Bereket à Ankara a été molesté. Une semaine auparavant, à Izmir, une ville connue pour être progressiste, des inconnus ont tiré avec un fusil de chasse sur le pasteur de l’Église baptiste Torbalı. Ce dernier s’en est miraculeusement sorti sans mal.
Dans la ville de Şanlıurfa, la fille du pasteur protestant Eyup Badem, âgée de 8 ans, a été blessée. Fin 2014, elle est rentrée de l’école tout ensanglantée, battue par des camarades. Le pasteur Badem avait déjà été molesté à plusieurs reprises.
Fin février 2016, les membres de la Agape Church Foundation à Samsun ont eu plus de peur que de mal. Quatre hommes ont vainement tenté de pénétrer dans l’église.
La campagne de menaces d’août 2015 est également inquiétante. Environ 20 pasteurs de 15 Églises protestantes ont reçu des menaces de mort par courriel, Facebook et SMS, rédigées dans un jargon qui s’apparente à celui qu’emploie l’EI.
Si en 2014, on a constaté un total d’au moins 15 incidents de ce type, on en relève le double en 2015 !
Nombre d’indices laissent prévoir que des islamistes radicaux sont les auteurs de ces actes. La politique islamiste, le soutien étatique de groupes rebelles islamistes dans le conflit syrien et la vague de soutien à l’EI qui a traversé le pays pourraient favoriser la montée de puissances radicales en Turquie.
Il semble que le respect des droits de l’homme doit être pointé du doigt lors de tout dialogue politique avec la Turquie. L’attitude d’un pays à l’égard de ses minorités est un baromètre qui permet d’apprécier la façon avec laquelle les droits de l’homme sont respectés au sein de la société. Récemment, le président du parti Vert en Allemagne, Cem Özdemir, a lancé un appel à ne pas oublier les chrétiens de Turquie. En tant que porte-parole de la politique extérieure européenne, nous sollicitons particulièrement la chancelière fédérale allemande Angela Merkel. Début juillet 2015, elle a déclaré à l’occasion du ramadan : « Il est ostensible et incontestable que l’islam fait désormais partie de l’Allemagne. » Mme Merkel a appelé au respect mutuel des religions. Reste à espérer qu’elle exige ce respect aussi de la part de la Turquie !
Benjamin Doberstein | Reto Baliarda
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