Malgré la persécution, la Syrie reste leur patrie

Avec d’autres chrétiens, la famille d’Aziz Yousef a été déportée par l’État islamique (EI). Après 25 jours dans un bunker, elle est rentrée à Al-Qaryatayn et a dû vivre sous le régime de l’EI avec le statut de « dhimmis ». Fin novembre 2015, elle est parvenue à s’enfuir. Le responsable de mission pour le Moyen-Orient, le Dr John Eibner, a rencontré Aziz en Syrie.

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La nuit du 4 au 5 août 2015 a complètement bouleversé la vie d’Aziz Yousef*. Durant toute la nuit, des coups retentissent, trois bombes explosent. « Nous nous doutions que l’État islamique (EI) attaquait Al-Qaryatayn. C’est ainsi que dès 6 heures du matin, nous avons emporté ce à quoi nous tenions le plus et sommes partis. Trop tard. Des terroristes de l’EI nous ont arrêtés et ils nous ont extraits de la voiture. »

270 chrétiens capturés

Aziz continue à raconter : « Ma famille a été emmenée avec tous les autres chrétiens de la ville dans la maison du musulman Khalil Al-Rahim. C’est ici que nous avons compris que nous avions été victimes d’une trahison : Khalil avait dénoncé tous les chrétiens d’Al-Qaryatayn à l’EI. Grâce à lui, 270 chrétiens étaient emprisonnés dans sa maison. Nous avons dû dormir à même le sol, sans couverture. »

Le lendemain, l’EI emmène les chrétiens dans un ancien bunker militaire près de Palmyre. Les 13 premiers jours, les chrétiens ne sont même pas autorisés à voir la lumière du jour. Ensuite, ils peuvent se rendre en plein air durant une heure par jour. Mais la surveillance ne se relâche pas. « De plus, nous étions assommés incessamment par des messages hurlés dans des haut-parleurs. Nous, les infidèles, devions nous convertir à l’islam », se souvient Aziz.

Ils vivent comme des êtres inférieurs

Après 25 jours, la plupart des chrétiens déportés peuvent rentrer à Al-Qaryatayn. Mais dorénavant, ils doivent vivre dans leur patrie sous le régime de terreur instauré par l’EI. Une femme atteinte du cancer meurt deux jours après son retour parce que l’EI lui interdit tout accès à la chimiothérapie. Un chrétien accusé de blasphème est abattu.

Socialement, les choses changent aussi : les chrétiens de retour doivent signer un contrat qui les place sous la tutelle de l’EI. Dorénavant, ils vivent comme des dhimmis. Ce statut est accordé aux monothéistes, qui sont donc tolérés, mais qui doivent payer la djizîa (impôt islamique). Par ailleurs, ils sont soumis en toutes choses aux musulmans. « Nous étions inférieurs. Chaque fois que nous croisions un combattant de l’EI, nous devions baisser la tête afin que les musulmans soient plus grands que nous. Nous n’avions pas le droit d’avoir des employés musulmans ni de leur être supérieurs de quelque manière que ce soit. S’il y avait des chrétiens et des musulmans dans la même voiture, les chrétiens devaient toujours s’asseoir à l’arrière, continue Aziz, et les chrétiens n’avaient pas le droit de quitter leur maison durant les prières des musulmans. Les femmes devaient toujours être voilées quand elles sortaient. Toutes les églises avaient été détruites et les chrétiens étaient obligés de se rassembler dans des lieux privés pour prier.

Quant aux musulmans, il leur était interdit d’apporter quelque assistance que ce soit aux chrétiens, sous peine de terribles représailles. »

L’EI promet une vie meilleure

Même si les terroristes de l’EI se montrent compréhensifs, les chrétiens ne peuvent pas leur faire confiance. « Avant notre retour à Al-Qaryatayn, l’EI nous avait promis que notre propriété ne serait pas touchée si nous les soutenions. On nous avait même promis une meilleure situation que celle que nous connaissions sous le régime de Bachar el-Assad. »

La famille d’Aziz possédait une maison, mais à son retour, elle constate que les pillards et les saccageurs n’ont pas fait de quartier. Certaines maisons de chrétiens sont même utilisées à des fins militaires et sont détruites lors des attaques aériennes de l’armée syrienne. Malgré tout, l’EI permet aux chrétiens de travailler.

À la faveur de la nuit…

Après deux mois sous la domination de l’EI, les chrétiens commencent à fuir Al-Qaryatayn. Aziz s’acharne pour réparer sa voiture du mieux qu’il le peut et enfin, le 28 novembre 2015 à 22 heures, sa famille s’échappe à son tour. Bien sûr, la fuite est périlleuse et la voiture roule tous feux éteints. Après une courte nuit à la campagne, dans une ferme qui leur appartenait, la famille poursuit son périple vers Homs. « Lorsque nous avons quitté Al-Qaryatayn, 24 chrétiens s’y trouvaient encore. Ce sont ceux qui ne peuvent se résoudre à abandonner ce qui leur appartient. »

Leur bru se trouve entre les mains des extrémistes

La famille d’Aziz Yousef est très reconnaissante d’avoir pu s’enfuir. Mais en même temps, elle s’inquiète pour sa bru, Rahel*, dont le destin est particulièrement tragique. Elle est arrivée de Qamichli pour visiter sa famille à Al-Qaryatayn un jour avant l’enlèvement des chrétiens par l’EI. Cette visite a fait son malheur. « Elle a été déportée à Raqqa et l’EI exige un demi-million de dollars de rançon pour sa libération. Mais comment pourrions-nous jamais trouver cette somme ? », soupire Aziz.

Pendant des décennies, Aziz a vécu en paix avec ses voisins musulmans. Mais aujourd’hui, il ne peut plus leur faire confiance. Ce qui déconcerte particulièrement cet instituteur retraité, c’est qu’après le début de la guerre, quelques-uns de ses anciens étudiants ont voulu le pousser de se convertir à l’islam. Or Aziz sait qu’en tant qu’ancien instituteur, sa conversion pourrait avoir un grand impact pour d’autres chrétiens et membres des minorités.

Un pays magnifique

Malgré toutes les expériences terribles qu’il a vécues, Aziz voudrait rester en Syrie et il espère rentrer à Al-Qaryatayn. Son fils Adil a quitté la ville trois mois avant la conquête de l’EI et il ne voit pas d’avenir dans la ville détruite. Mais lui aussi, il ne voudrait pas quitter la Syrie. « Ma sœur se trouve au Canada et elle m’invite à la rejoindre. Mais je resterai en Syrie. Sinon je devrais abandonner mon travail d’éducateur et mes amis. » En paix, la Syrie est un pays magnifique qui offre à ses citoyens de nombreuses opportunités.

À la fin de la conversation, Adil compare les groupes de rebelles en Syrie : « Que ce soit l’EI, le Front al-Nosra ou l’Armée syrienne libre, ils poursuivent tous le même but et veulent une Syrie avec des lois islamiques strictes. Les combattants passent sans autre d’un groupe de rebelles à l’autre. »

Reto Baliarda

*Nom fictif


 La créativité aide à échapper à un quotidien tragique

Il est particulièrement important que les enfants en Syrie trouvent une distraction dans un environnement sûr, pour qu’ils puissent oublier un peu la guerre. La partenaire de CSI Sœur Sara a maintenant élargi la gamme d’activités offerte aux enfants éprouvés. En juin 2016, elle a lancé le nouvel atelier Child friendly space (espace adapté aux enfants). Des activités diversifiées permettent aux enfants d’exprimer leur créativité dans la danse, le jeu, la peinture ou la mise en scène de pièces de théâtre. Le 4 juillet 2016, l’équipe de Sœur Sara a célébré une grande fête. Quelque 150 enfants y ont participé et ont montré leurs aptitudes artistiques. Trois filles et deux garçons adolescents ont assuré la direction des activités et ils étaient soutenus par une jeune spécialiste. La fête a rencontré un franc succès… encore un signe que dans les situations les plus terribles, l’espoir demeure.

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