
Rhoda Ya’u Jatau, une infirmière chrétienne originaire du nord du Nigéria, en est à son 500e jour de prison où elle attend la suite de son procès pour blasphème présumé. Rhoda Ya’u Jatau est enfermée depuis son arrestation en mai 2022. Les audiences de son procès sont sans cesse reportées.
Rhoda avec sa famille. (Photo : mise à disposition)
Au Nigéria, Rhoda Jatau, mère de cinq enfants et originaire de l’État fédéré de Bauchi, a été arrêtée le 20 mai 2022, après avoir prétendument transmis une vidéo condamnant le lynchage par la foule de Deborah Yakubu, une étudiante chrétienne de Sokoto, quelques jours plus tôt. Des centaines de jeunes musulmans se sont déchaînés dans le quartier à majorité chrétienne de Rhoda Jatau, où elle vivait, après que ses collègues l’ont accusée de diffuser des documents insultants pour l’islam.
Cette femme de 45 ans est accusée de blasphème et d’incitation à la haine et pourrait être condamnée à la peine capitale en vertu des lois de la charia en vigueur dans le nord du Nigéria, si elle est reconnue coupable. Toutefois, le verdict ne semble pas imminent. Le procès de Rhoda Jatau dure depuis neuf mois déjà.
L’accusation a clos son dossier, mais la défense n’a pas été en mesure de présenter ses arguments. La tentative des avocats de Rhoda Jatau d’introduire une demande de non-lieu s’est heurtée à de multiples obstacles, le juge ayant reporté les dates d’audience.
Au moins cinq audiences prévues n’ont pas eu lieu depuis mars 2023. Entre-temps, Rhoda Jatau continue d’être privée de liberté, la libération sous caution lui ayant été refusée.
Le 20 septembre 2023, l’avocat de Rhoda et des observateurs des droits de l’homme se sont rendus à la Cour suprême de Bauchi pour la reprise de l’audience, mais ils ont appris que le gouvernement de l’État fédéré de Bauchi avait décrété un jour férié à la dernière minute. Le procès a été repoussé une nouvelle fois au 16 octobre 2023, date à laquelle la défense tentera à nouveau d’obtenir un non-lieu.
« Le report semble être une tactique pour maintenir Mme Jatau en détention provisoire », a commenté Solomon Dalyop Mwantiri, un militant des droits de l’homme de l’État fédéré de Plateau qui s’est rendu à Bauchi pour suivre le déroulement du procès le 20 septembre 2023.
« C’est un programme religieux de persécution des chrétiens qui est mis en œuvre dans cette affaire. »
Franklyne Ogbunwezeh, chercheur principal de Christian Solidarity International (CSI) pour l’Afrique subsaharienne, affirme que le déni de justice à l’égard de Mme Jatau s’inscrit dans une stratégie des États fédérés de la charia du Nord visant à réduire au silence ceux qui dénoncent les persécutions chrétiennes. « Nous l’avons vu dans l’affaire des journalistes Luka Binniyat et Steven Kefas dans l’État fédéré de Kaduna, où les tribunaux n’ont cessé de reporter les audiences. Ces affaires n’ont jamais été poursuivies jusqu’à leur terme parce que l’État n’avait pas de dossier susceptible de résister à un examen approfondi devant un tribunal. »
M. Ogbunwezeh souligne que MM. Binniyat et Kefas ont été discrètement libérés de prison lorsque l’attention internationale a commencé à se porter sur leur cas. Pour Luka Binniyat, CSI a mené une campagne de plaidoyer qui comprenait un appel au président des États-Unis Joe Biden pour qu’il intervienne auprès des autorités nigérianes.
Dans le cas de Mme Jatau également, des pressions internationales ont été exercées sur le gouvernement.
Le 13 décembre 2022, CSI a organisé une coalition de vingt-cinq organisations de défense de la liberté religieuse et des droits de l’homme, d’experts et de praticiens pour signer une lettre ouverte au secrétaire d’État américain Antony Blinken, lui demandant d’intervenir en faveur de Mme Jatau.
« Nous vous demandons respectueusement d’intervenir auprès des autorités nigérianes au plus haut niveau pour garantir la liberté de Rhoda Jatau, écrivent les signataires. Nous vous demandons également de faire savoir aux autorités nigérianes que vous êtes fermement opposé aux lois sur le blasphème. »
L’État fédéré de Bauchi est l’un des douze États fédérés du nord du Nigéria à avoir adopté la charia dans son système de justice pénale depuis 1999. Ces dernières années, plusieurs Nigérians ont été condamnés en vertu de la charia à de longues peines de prison, voire à la peine de mort, pour des insultes perçues à l’égard de l’islam.
Dans l’État fédéré de Kano, un tribunal de la charia a condamné Omar Farouq (13 ans) à dix ans de prison en 2020 pour blasphème présumé, tandis que Yahaya Sharif, un musicien de 22 ans, a été condamné à mort la même année pour avoir partagé sur les médias sociaux une chanson dont les paroles étaient censées être blasphématoires. Omar Farouq a été innocenté et libéré l’année suivante, à la suite des appels internationaux adressés au président de l’époque, Muhammadu Buhari. Il se serait réfugié à l’étranger. Yahaya Sharif est toujours en prison alors qu’il a fait appel devant la Cour suprême du Nigéria.
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