Une visite dans des villes fantômes

Le responsable de mission John Eibner est allé en Syrie en novembre 2014. Il s’est rendu dans des régions où le gouvernement syrien est encore au pouvoir, mais aussi à Homs et à Maaloula, qui ont été au moins partiellement conquises par les djihadistes. Ces villes restent totalement dévastées.

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CSI : Au cours de ton dernier voyage, tu t’es rendu à Damas pour la première fois depuis le début de la guerre. Quelle est la situation dans cette ville ?
John Eibner : J’entendais des coups de mortier et j’ai vu les avions qui bombardaient les positions des rebelles, tout près de Damas. Pourtant, les gens dans la rue ne réagissaient presque pas. Au contraire, ils disent que la situation est redevenue bien plus calme et plus sûre ces derniers temps. Par endroits, il y a un décalage surprenant entre la réalité flagrante de la guerre et la normalité apparente de la vie.

Damas dépend du gouvernement. Nous y avons distribué des biens de première nécessité aux déplacés qui ont fui les régions occupées par les rebelles. Les gens sont extrêmement reconnaissants, mais aussi très craintifs. Ils refusent d’être pris en photo et s’expriment seulement si on leur garantit l’anonymat. Cela montre que les habitants ont très peur même dans les régions où le gouvernement est au pouvoir, où la situation est plus sûre et où les infrastructures sont intactes.

Quelques mots sur Homs ?
En mai 2014 déjà, l’ONU avait organisé le retrait des rebelles, alors que la ville était assiégée par les troupes du gouvernement. Il y a encore des combats dans certains quartiers périphériques, mais les troupes gouvernementales maîtrisent une grande partie de la ville et les voies d’approvisionnement semblent sûres.

Nous nous sommes rendus sur la tombe du Père jésuite néerlandais Frans van der Lugt, qui était resté à son poste auprès des civils pendant que la ville était assiégée par les rebelles. Un mois avant leur retrait, les islamistes l’ont abattu. Des moines qui sont revenus à Homs nous ont montré sa chambre.

Autrefois, la vieille ville de Homs était un quartier animé comptant plus de 150 000 habitants, dont quelque 30 000 chrétiens. Il règne aujourd’hui un silence glauque dans les ruelles vides, partiellement détruites par les bombes. Nous y avons rencontré un homme qui vendait des cacahuètes dans les rues désertes. La scène était presque surréaliste.

Lentement, les habitants reviennent à Homs. En septembre 2014, une école à rouvert ses portes. Il y avait alors 40 élèves, ils sont maintenant 150. Ces six derniers mois, quelque 1000 personnes se sont risquées à revenir. Elles ont commencé à remettre un peu d’ordre ici et là en déblayant les rues des décombres, par exemple. Je n’ai toutefois vu aucun signe de reconstruction. Les jésuites ont mis sur pied un système simple de distribution d’eau à partir de leur vieille fontaine. Il n’y a cependant toujours pas d’électricité.

La prise de la ville chrétienne de Maaloula par les djihadistes a fait les gros titres en septembre 2013. Qu’en est-il aujourd’hui de cette ville et de ses habitants ? 
Sœur Sara (nom d’emprunt), notre partenaire sur place, a grandi à Maaloula. Avec elle, j’ai pu me rendre dans cette petite ville chrétienne. De nombreux habitants se sont enfuis quand les combattants islamistes ont pris la ville. En avril 2014, les troupes gouvernementales ont reconquis Maaloula. Après tous ces combats, la destruction marque le paysage. On remarque tout de suite que les rebelles ont systématiquement détruit les nombreuses croix. Ils ont aussi profané les églises. Aujourd’hui, les habitants de Maaloula reviennent, mais pour l’instant, beaucoup ne font que passer pour chercher leurs biens et mettre de l’ordre. Des efforts pour repeupler Maaloula sont entrepris, mais ce n’est pas facile.

Que pensent les chrétiens syriens de leur situation ?
Beaucoup disent que la situation s’est améliorée. Elle reste néanmoins très dangereuse. Il y a seulement quelques semaines, un attentat-suicide dans une école a fait 80 morts. Pendant mon séjour, le frère d’un responsable de jeunesse local a été enlevé à Homs. La menace continue de peser au quotidien.

Qu’adviendra-t-il de l’aide de CSI en Syrie ?
Nos visites ont une grande importance pour ces gens, même si nous ne pouvons pas leur apporter grand-chose. En Syrie, les gens sont très isolés à cause de la distance, mais ils sont aussi déconnectés du monde extérieur par manque d’informations. Le travail de CSI dans ce pays reste donc important et nous continuerons d’aider les déplacés et de faire de notre mieux pour les soutenir.

Benjamin Doberstein


L’aide de CSI en Syrie

À l’heure actuelle, sept millions de personnes sont en fuite en Syrie, et quelque trois millions se sont réfugiés dans des pays voisins. CSI aide les réfugiés syriens en Irak et en Turquie ainsi que les déplacés en Syrie. Dans le pays, nous aidons quatre cents familles à qui nous fournissons des denrées alimentaires et des médicaments. Notre partenaire sur place, sœur Sara (nom d’emprunt), s’occupe des déplacés avec l’aide d’autres sœurs et de nombreux bénévoles. Nous soutenons aussi des programmes d’entraide organisés par des Églises à Homs, Alep et Damas.


Noël 2014 vu par Sœur Sara

« Pour la première fois depuis le début de la guerre, je constate que les gens ne se laissent plus dominer par la peur. Ils ont envie de vivre… malgré la destruction et les difficultés. Bien que le risque soit élevé, les chrétiens ont décidé de fêter Noël en s’affichant plus publiquement que les années précédentes. Ils ont par exemple décoré les rues des quartiers chrétiens de Damas. Une sœur d’un couvent de Homs a préparé un concert de Noël avec les enfants, pour la première fois depuis le début de la guerre.
La situation générale reste très difficile et beaucoup de familles chrétiennes vivent toujours dans une grande pauvreté. Toutefois, presque tous ont décidé de tourner le dos à la crainte et de vivre dans l’espoir d’un avenir heureux.

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