29 octobre 2019

La violence des Peuls contre les agriculteurs a une connotation islamiste

CSI a lancé un nouveau site internet (nigeria-report.org) qui traite du terrible conflit au Nigéria pour démontrer son caractère clairement religieux. Ce site est indispensable pour comprendre le conflit et trouver une solution. Voici la seconde partie de l’introduction du directeur de CSI John Eibner.

Une chrétienne nigériane proteste contre la violence continuelle perpétrée par les Peuls islamistes. (csi)

La violence des milices peules est souvent décrite par les groupes de réflexion et par les médias comme un conflit entre les éleveurs nomades et les agriculteurs sédentaires portant sur le partage des ressources naturelles, une problématique aggravée par la désertification de la région. La concurrence économique entre ces groupes est en effet un facteur important du conflit. Mais cette explication qui veut exclure l’aspect religieux de la croisade menée par les milices peules est réductrice, en ce qu’elle minimise le rôle crucial du djihad dans la tradition historique du peuple peul qui revendique la construction d’un empire colonial.

Il passe également sous silence les liens actuels entre les milices peules et les réseaux djihadistes internationaux, d’une part, ainsi qu’entre les islamistes et les chauvinistes de l’ethnie peule, d’autre part. Ces liens existent pourtant autant au sein de l’armée que des services de renseignements dominés par les Peuls au Nigéria.

Comme l’ont observé le Dr I. F. Izeonwuka et le Dr Austine Uchechukwu Igwe, c’est au moment où les dirigeants politiques peuls ont ressenti le besoin d’un « nettoyage socioreligieux (un djihad) » pour promouvoir leurs intérêts que la grande masse des bergers nomades a été utilisée comme force de combat. Ce schéma semble aussi vrai aujourd’hui qu’il l’était lors du djihad mené par Usman dan Fodio.

La minorité peule est forte grâce au djihad

Qui sont les Peuls ? Il s’agit d’un peuple nomade transnational dont on pense qu’il descend des Berbères et des Africains noirs et dont l’ancienne patrie subsaharienne se trouve au Sénégal. Ils vivent également au Niger, en Guinée, en Mauritanie, au Mali, au Burkina Faso, au Ghana, au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, en République centrafricaine, au Tchad et au Soudan. Les Peuls nigérians représentent un peu plus de 12 millions de personnes, soit 6,3 % de la population du Nigéria estimée à 203 millions d’habitants, selon le CIA Factbook. Mais leur nombre exact est contesté, certaines sources indiquant que les Peuls du Nigéria ne seraient pas plus de 6 à 7 millions. Les Peuls ont commencé à s’installer au Nigéria actuel au xive siècle. Bien qu’ils soient une minorité, ils ont acquis un énorme pouvoir politique à la suite du djihad mené par Usman dan Fodio. Or la domination politique de l’oligarchie tribale peule a perduré jusqu’à nos jours et se reflète dans le nombre disproportionné de fonctionnaires peuls au sein des services de sécurité du pays.

La reconduction du djihad

Il va sans dire que l’écrasante majorité des Peuls d’Afrique de l’Ouest sont des peuples pacifiques qui luttent pour survivre et qui n’ont pas une connaissance approfondie du djihad islamique. Il existe aussi de nombreux Peuls qui ont adopté un mode de vie sédentaire dans des villes et qui vivent paisiblement dans des milieux multiethniques et multireligieux. Malgré tout, l’islamisme d’inspiration wahhabite a fait de grandes percées dans la société peule autant urbaine que pastorale depuis les années 1980. De plus, les dirigeants peuls sont conscients que l’expansion et la consolidation du pouvoir peul au Nigéria résultent du djihad mené par Usman dan Fodio. La mémoire collective se souvient des 2,5 millions d’esclaves non musulmans qui ont été capturés pendant le djihad et qui ont par la suite joué un rôle majeur dans la prospérité économique du califat. Ils restent aujourd’hui écrasés et, selon la tradition culturelle peule, ils confirment la supériorité politique et religieuse de l’ethnie peule.

Actuellement, on assiste donc à un renouveau de l’expansion territoriale des Peuls, légitimé par leur idéologie djihadiste traditionnelle. Elle est parrainée par des acteurs islamistes autant internationaux que nationaux. Ce renouveau est un facteur crucial et un observateur avisé ne peut pas considérer le conflit comme une suite d’agressions de bas niveau entre bergers et agriculteurs. Il s’agit clairement d’un épouvantable conflit sectaire qui menace la stabilité du fragile État fédéral nigérian et de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest.

Équiper et motiver pour créer la paix

Les conflits sectaires sanglants du Nigéria n’ont pas émergé d’un néant politique. Ils ont des racines qui s’étendent profondément dans l’histoire du djihadisme peul du xixe siècle, de l’impérialisme britannique et des luttes de pouvoir ethniques locales. Ils font également partie intégrante des relations contemporaines du Nigéria avec des acteurs islamistes non étatiques, que ce soit dans l’État wahhabite d’Arabie saoudite ou aux États-Unis.

Pour comprendre le cauchemar que vivent de nombreux Nigérians aujourd’hui, il est donc impératif d’appréhender cette histoire ainsi que de déterminer les réseaux de pouvoir contemporains qui animent la politique intérieure du Nigéria et la relient au monde extérieur. Sans une telle approche, certes complexe, cette catastrophe d’origine humaine apparaîtra comme une simple querelle économique locale, ou pire, comme des accès de violence aléatoires, incompréhensibles et insolubles. Une telle vision de la souffrance en Afrique est trop souvent adoptée par les observateurs occidentaux. Nous espérons qu’en encourageant des discussions et des débats éclairés sur la tragédie qui se poursuit au Nigéria, ce site internt donnera aux acteurs internationaux et aux personnes de bonne volonté partout dans le monde les moyens d’agir pour rétablir la paix dans ce pays qui souffre.

Dr John Eibner

En cliquant ici, vous trouverez la première partie de cette introduction.

L’intégralité de l’introduction, notes et sources incluses, peut être commandée auprès de CSI. 031 971 11 45 | info@csi-suisse.ch

Ici, vous trouverez le nouveau site internet CSI en anglais sur le Nigéria.

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